Stress au travail en IDF : à évaluer d'urgence

Le stress au travail est un enjeu majeur pour l’Europe et le monde professionnel. Il ne cesse de s’accroître depuis une quinzaine d’années, et ce pour diverses raisons, telles que l’accroissement des métiers dans le secteur des services rendant le travail plus abstrait que par le passé, les violences ressenties, l’absence d’autonomie alors que l’exigence augmente, la précarité, etc. Il est au coeur de nombreuses problématiques actuellement, de nombreux journaux en parlent, et un rapport a récemment été publié (rapport Nasse – Legeron remis au ministère du travail http://www.ladocumentationfrancaise.fr/rapports-publics/084000156/ )

Le stress professionnel survient selon l’Agence Européenne pour la Sécurité et la Santé au Travail lorsqu’il y a « un déséquilibre entre la perception qu’une personne a des contraintes que lui impose son environnement et ses propres ressources pour y faire face. Bien que le processus d’évaluation des contraintes et des ressources soit d’ordre psychologique, les effets du stress ne sont pas uniquement de nature psychologique. Il affecte également la santé physique, le bien-être et la productivité ».

Différents facteurs de stress professionnel existent. En voici une liste non exhaustive :
−    Les facteurs liés à la tâche ou au contenu du travail, avec de fortes attentes quantitative et qualitative, la monotonie, ou les risques inhérents à la tâche (dans les métiers à risque par exemple).
−    Les facteurs liés à l’organisation du travail : Comment faire à la fois vite et bien, imprécision des tâches à effectuer, inadaptation des horaires à la vie sociale et familiale, instabilité des contrats de travail
−    Les facteurs liés aux relations de travail : peu de reconnaissance, management peu participatif manque d’aide des collègues ou des supérieurs
−    Les facteurs liés à l’environnement physique et technique : nuisances physiques, mauvaise conception des lieux de travail
−    Les facteurs liés à l’environnement socio-économique de l’entreprise : Mauvaise santé économique, augmentation de la compétitivité

Les conséquences du stress professionnel en Europe et en France
Une étude datant de 1999 relatait le fait que les coûts des problèmes de santé liés au travail étaient de 185 à 269 milliards d’euros dans les quinze Etats membres. Si l’on considère que 10 % d’entre eux  ont un lien avec le stress au travail, on obtient un coût d’environ 20 milliards par an. Il est essentiel d’ajouter que 50 à 60 % des journées perdues seraient liées au stress professionnel.
En France, le coût du stress professionnel a été évalué par l’INRS (Institut National de Recherche et de Sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles) en 2000. Le détail de l’étude (et la méthodologie retenue) est disponible sur leur site (http://www.inrs.fr/inrs-pub/inrs01.nsf/IntranetObject-accesParReference/Dossier%20Stress/$FILE/Visu.html, cliquer sur le lien dans « le coût du stress »). Notons simplement qu’ils n’ont retenu qu’un seul facteur de stress, le « job strain », à savoir la combinaison entre une forte pression au travail et le manque d’autonomie dans l’organisation du travail, et trois pathologies attribuables au stress (maladies cardio-vasculaires, dépression et troubles musculo-squelettiques). Ils sont arrivés au résultat suivant pour la France en 2000 : sur une population active de 23, 53 millions de personnes, 220 500 à 335 000 sont touchés par une des trois pathologies. Selon cette hypothèse, le coût du stress  professionnel serait compris entre 830 et 1656 millions d’euros par an, soit 10 à 20 % de la branche accidents du travail et maladies professionnelles de la Sécurité sociale. Le coût réel est certainement plus élevé, car l’étude ne concerne qu’un seul stresseur.
Une étude récente a été menée par le gouvernement sur les confrontations au stress en fonction du sexe, de l’âge, des différentes catégories socio-professionnelles. Cette étude est disponible à l’adresse suivante : http://www.travail-solidarite.gouv.fr/etudes-recherche-statistiques-dares/etudes-recherche/publications-dares/premieres-informations-premieres-syntheses/2008-22.1-facteurs-psychosociaux-au-travail-evaluation-par-questionnaire-karasek-enquete-sumer-2003-.html
Aucune étude n’a été menée en Ile de France mais le coût de la vie, les temps de transport ainsi que la densité de population laissent à penser que le nombre de personnes touchées ainsi que le coût du stress professionnel sont supérieurs à ceux des autres régions françaises.

Les conséquences du stress professionnel sur l’entreprise

Le stress doit devenir une préoccupation dès lors qu’il y a une multiplication des signes indiquant certains dysfonctionnements dans l’organisation du travail. On constate en effet une hausse de l’absentéisme, un turn-over important, une augmentation des maladies professionnelles et des accidents du travail, voire des suicides, trop rapidement attribués à une fragilité personnelle (alors qu’ils sont effectués sur le lieu de travail ou avec une lettre mettant en cause le désespoir au travail). Ces suicides sont souvent la conséquence de l’organisation du travail qui surcharge les salariés, les isole et empiète sur leur vie privée selon Christophe Dejours (Santé et Travail n°60).

Les conséquences du stress semblent évidentes : il y a un malaise important chez les employés et une baisse de la productivité.

Quelles sont les solutions existantes?
A un niveau individuel, des consultations de souffrance au travail existent dans certains hôpitaux. On en dénombre huit en Île de France (à Paris, dans les Hauts-de-Seine et dans le Val de Marne). Ces consultations sont nécessaires, mais méconnues du public. Il faut une prescription de la médecine du travail pour y accéder. Cependant, ces consultations ne permettent évidemment pas de modifier les conditions de travail des employés.
L’importance d’une action à un niveau individuel est importante mais réellement insuffisante. Les mesures les plus efficaces seraient une remise en cause de l’organisation du travail. En effet, le travail devient de plus en plus dense (souci de productivité importante) et plus imprévisible (il faut s’adapter aux demandes de la clientèle et fournir un travail sans défaut). Le nombre de personnes travaillant dans l’urgence augmente et la question éthique de « bien faire son travail » surgit. Le salarié doit faire face à ses différentes contraintes sans que l’organisation du travail ne lui permette réellement d’y répondre.
Au niveau de l’entreprise, des interventions sur les lieux de travail visant à restructurer l’organisation du travail sont possibles, mais peu d’entreprises font la démarche de recruter des consultants. Certaines ne proposent que des ateliers de gestion du stress mais la source du problème demeure telle quelle. Cela a néanmoins le mérite de faire le bonheur de certains cabinets de consultants et autres numéros verts…

Face à l’augmentation du stress au travail, des mesures supplémentaires sont indispensables.
Il faut d’abord ré-évaluer les conséquences du stress professionnel. Les études qui ont été faites datent déjà de plusieurs années et portent soit sur l’Europe, soit sur l’intégralité du territoire national.
Une enquête sur l’Île de France serait appropriée. Il existe un questionnaire d’évaluation du stress professionnel, le questionnaire de Karasek (copyright, université du Massachusetts). Celui-ci existe déjà en langue française et a fait l’objet d’études de validation. Il  est simple, rapide et porte sur plusieurs aspects du travail. Ce questionnaire peut être rempli par le salarié. Bien sûr son administration comporte des défauts (comme toute évaluation), mais il a l’avantage d’être validé, rapide et reconnu.

Si les résultats démontrent que le phénomène est d’une grande importance et qu’il a un impact à la fois sur la santé des individus, sur les dépenses de l’État et sur la productivité des entreprises, il serait intéressant de renforcer les dispositifs existants
−    en proposant des consultations auprès de psychologues plus facilement accessibles dans les centres de médecine du travail par exemple
−    mais surtout en effectuant des campagnes de sensibilisation afin de changer l’organisation du travail en profondeur, aussi bien dans le secteur public que privé.
Cette campagne doit être suivie de mesures vis-à-vis notamment des entreprises et institutions à risque (cela suppose une évaluation de chaque entreprise et institution,  qui est censée être obligatoire avec le document unique d’évaluation des risques psychosociaux depuis 2001. Dans les faits, ce travail est bâclé, insuffisant et les sanctions pénales à l’égard des entreprises commettant des « oublis » peu dissuasives).

La question de la « valeur travail » étant au cœur des débats, permettons nous de rappeler que le souci de bien faire est au cœur du malaise au travail de nombreux salariés. Donner aux salariés les moyens de bien faire son travail ne serait-il pas la meilleure façon de réhabiliter le travail ?

Aurélie A.
Psychologue clinicienne

Bibliographie
1. Santé et Travail n°60
2. Santé et Travail n°63
3. Santé et Travail n°64
4. Rapport Nasse-Legeron
5. http://www.inrs.fr/htm/le_stress_au_travail.html

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16/12/2008 Dossiers