Hadopi ou la jungle des bien pensants

Le débat sur la loi HADOPI est caractéristique de notre société médiatique : cette loi est une “bonne cliente”. Algarades, justifications, artistes, politiques, internet, culture … Le cocktail est détonnant et l’audience au rendez-vous.

Certains amis informaticiens (je n’ose dire “geeks” !) m’alertent régulièrement sur les difficultés de mise en application de la loi. La vidéo ci-jointe donne un exemple de ce que le net peut produire sur ce sujet :

Réseaux Décentralisés

Je vais essayer de traiter du fond et non pas de la forme, c’est-à-dire du débat technique qui me semble prendre trop souvent le pas sur la réflexion qui doit guider nos parlementaires. Un bel article de Claude Allègre (le Point No 1915) fournit une solide analyse des bouleversements intervenus ces  dernières années dans les domaines de la presse et de la télévision.


En France, la télévision commerciale a gardé le modèle du don en devenant esclave de la publicité. La télévision d’état, après avoir cédé aux sirènes de la publicité, est revenue à sa vocation initiale (celle du don et donc de l’accès gratuit hormis la redevance). Un vaste débat s’ouvre ici sur qui doit organiser la gratuité sans échange. Claude Allègre opte pour la thèse de Maurice Godelier dans son livre “l’énigme du don” : l’état (la collectivité) doit rester la grande ordonnatrice du don afin de préserver l’équité. C’est un autre sujet. Ce qu’il est important de constater est que les télévisions payantes (qui fonctionnent donc sous le mode de l’échange; C+ par exemple) tirent leur épingle du jeu quand celles fonctionnant sous le mode du don (TF1 au premier chef) rencontrent de graves difficultés.

Dans le monde de la presse, la même inclination conduit aux mêmes effets : les journaux ont joué la martingale gratuité – publicité (difficile de résister à la déferlante internet !) et se retrouvent maintenant en grande difficulté: le New York Times et le Wall Street Journal réfléchissent en urgence à un changement de modèle (comment faire payer le contenu de leurs sites ?). En France, où la situation de la distribution des journaux est toute particulière et aggrave le problème, le canard enchaîné affiche une santé insolente (seul journal à vivre sans aucune publicité sur ses ventes et les abonnements, donc sur le modèle de l’échange).

Il me semble qu’un dangereux glissement s’est opéré du monde de l’échange vers le monde de la gratuité. Nous retrouvons le même phénomène dans les contenus culturels posés sur internet (sans la publicité qui n’a servi que de catalyseur dans les 2 précédents exemples; il n’est d’ailleurs pas question ici de faire le procès de la pub !).

Internet est un outil merveilleux trop souvent caricaturé en “espace de liberté absolue”. Hadopi est la première tentative pour inoculer l’antidote de la tempérance dans un monde numérique qui frise trop souvent l’anarchie.
Bien entendu cette loi devra être améliorée (et nous pouvons faire confiance aux parlementaires pour suivre ce dossier). A titre personnel je vois assez mal comment envoyer un courrier électronique a un abonné … Sachant que de nombreux abonnés ne fournissent pas d’adresse électronique à leur fournisseur d’accès … ! Passons !

Revenons au sujet et à la gratuité : il existe probablement trop d’intermédiaires dans le système commercial classique qui prélèvent leur dîme (souvenons nous du prix du CD , du DVD …). Internet peut probablement améliorer la situation grâce à de nouveaux modes de distribution des contenus (musiques ; cinémas ; informations). Mais que proposent les adversaires d’Hadopi ? Une “licence globale” ? Ce serait en quelque sorte revenir à l’art pompier où quelques artistes bien en cour vivaient des commandes de l’état ! Rien de tel pour tuer la création et faire l’éloge de la paresse intellectuelle (une paire de bottes vaut Shakespeare comme disait l’autre …).

Les rebelles de salons ; les aventuriers en peau de lapin et les professionnels de l’indignation hurleront bien entendu au fascisme , au contrôle , à l’état policier … Et que sais-je encore.
Je leur ferai remarquer avec respect, qu’en ne travaillant pas d’arrache-pied à une régulation intelligente d’internet, nous revenons près de 24 siècles en arrière. Quand, sous la plume de Platon,  Socrate ferraille avec le sophiste Thrasymaque qui soutient avec cynisme que ce qui est juste c’est l’intérêt du plus fort.

Souhaitez vous qu’internet soit livré aux sophistes ? 🙂

1/06/2009 News

2 Comments to Hadopi ou la jungle des bien pensants

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  2. daydayBolcard on juin 5th, 2009
  3. […] Le débat sur la loi HADOPI est caractéristique de notre société … […]

  4. trujillo state » Blog Archive » Academic art on juin 6th, 2009